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Publié le par ulfasso

        Tout en prononçant ces mots il s’avançait, assez se dit Kyosuke pour lui assener un coup dont il ne se relèverait pas. Il mit, sans même y penser, la main à sa garde même si Shigeru ne semblait vouloir commencer un nouveau combat. Les bras de la brume enlaçaient maintenant les flancs de la montagne et une certaine torpeur semblait gagner la nature.

            « Vous auriez aussi bien pu me tuer…

            _ Certes mais cela aurait été bien moins distrayant.

            Ces dernières paroles firent jaillir de son fourreau l’arme du vieil homme. Les deux lames se tenaient l’une en face de l’autre prêtes à en découdre. Kyosuke se rua sur le samouraï mais son attaque fut parée avec une étonnante facilité, un éclair puis un coup de garde lui fit oublier que la pluie tombait et que l’orage grondait. Sa tête heurta lourdement le sol, le goût ferreux du sang se mélangea à celui de la boue. Des nausées le secouèrent avant qu’il ne sombre dans les ténèbres. Shigeru s’était interposé entre le jeune guerrier et le samouraï expérimenté.

            Une bataille âpre pour la survie s’ensuivit. Les éléments rendaient folle la scène, les feuilles des érables arrachées tourbillonnaient dans un hurlement de bois et de métal, les sandales des deux hommes s’enfonçaient à chaque pas dans la boue, éclaboussant le sol souillé du village et les lames étincelaient des éclairs environnants. Leurs deux corps étaient entraînés dans une danse rythmée par les battements de leurs cœurs rompus d’adrénaline. Les corps au bord de la rupture, tous deux flirtant avec la mort. Un seul s’extirperait des tentacules ténébreux de la faucheuse.

            Les lames tranchaient jusqu’aux gouttes de pluie, les survivantes devenaient spectatrices de cette rixe qui n’était ni vraiment une danse ni vraiment un combat. Juste une course entre deux hommes pour le droit d’exister et que chacun revendiquait.

            Ils courraient, sautaient de toits en toits, de bois en bois, sans qu’aucun ne prenne le pas sur l’autre. Comme si le destin avait du mal à décider. Kyosuke lui était toujours au sol, le visage à moitié dans la boue.

            La lune est rousse et mes parents sont morts. Je suis seul. Ce dragon me hantera probablement des années. Et grâce à lui, mon désir de vengeance restera intact, brûlant au plus profond de moi.

            Shigeru, le souffle court, ne pourrait plus tenir très longtemps.

            Garde ceci à l’esprit Kyosuke que la vengeance ne peut être une finalité. En aucun cas, elle n’est le moteur de la vie. Je sais pourquoi tu veux t’engager sur la voie du sabre, mais ce chemin lorsque animé par d’obscur desseins ne mène nulle part.

            Son adversaire était plus jeune et plus puissant. Shigeru s’est vu confronter aux limites de l’expérience : l’âge.

            A chaque fois que les ténèbres tombent sur ce monde, et que la nuit nous enveloppe de ses bras étoilés, mes démons me hantent. Je ne suis qu’un esprit faible dans un corps invincible.

            Shigeru épuisé, trouvait de plus en plus difficilement des ouvertures, chaque pas se faisait plus lentement que le précédent, et bientôt il s’effondrait. L’homme au kimono n’avait plus qu’à achever un vieillard pathétique étendu dans la boue et la sueur. Il savourait cet instant de gloire éphémère, où l’adversaire ne peut que supplier pour sa vie, pleurer pour son salut. Mais le vieil homme ne versa une larme, ni ne fit entendre quelque signe de reddition.

            «  Tu m’aura gâcher jusqu’au plaisir de ta mort, soupira le samouraï, s’apprétant à porter l’estoque finale.

            Alors la foudre fractura le ciel pour s’abattre sur le puit du village. Les pierres volèrent en tout sens, le bois enflammé retombait ici et là animant les ombres comme des animaux apeurés.

            Et puis, il devint douloureux pour le samouraï de respirer, le goût ferreux du sang commençait à envahir sa bouche. Son flanc lui faisait horriblement mal. La douleur lui parvenait de plus en plus forte, par de puissantes vagues au rythme des battements de son cœur.

            Tout autour de lui, la nature éclatait de colère, le vent arrachait les tuiles des toits, la pluie martelait le sol, et les éclairs déchiraient le ciel. Mais, il n’entendait ni le bois défoncé, ni le grondement du tonnerre.

            Des papillons firent leur apparition. Il n’avait jamais vu tel spectacle auparavant. Il tenta de se saisir de ces créatures magiques mais alors qu’il refermait ses doigts dessus, ils s’évanouissaient. Les papillons se firent de plus en plus nombreux, et bientôt leur lumière fut aveuglante, au point de ne plus pouvoir rien voir. Ses genoux se rendirent en premier et il s’affala au sol comme une poupée de chiffon. La lumière ne semblait jamais vouloir s’effacer. Il sentait son âme le quitter alors qu’en lui la vie s’éteignait. Sur le kimono blanc le phénix ne renaîtrait pas, rapidement engloutit sous le sang de son hôte.

Publié dans moonbeam

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