chronique ordinaire -2-

Publié le par ulfasso

Sa fille le regarde tristement alors qu'il gît affalé sur son canapé. Elle s'est encore préparé son repas seule ; ce n'est pas facile d'élever un petit garçon à douze ans.

L'épave qui comate, le cerveau imbibé de chagrin et de vodka a perdu sa femme deux ans auparavant. Elle n'est pas morte, non. Elle est juste partie. Marre d'avoir à subir les coups, les injures les humiliations et cet environnement qu'elle détestait de toute façon. Alors elle est partie. Elle a été triste un temps, pour ces enfants qu'elle laissait. Mais après tout ce n'était pas les siens, rien ne l'obligeait.

La bouteille heurte le sol et souille le tapis bon marché d'alcool 1er prix. Il n'y a plus rien a attendre de cette vie, se dit-il en épongeant la liqueur avec sa chaussette. Et pis de toute façon, je n'ai pas eu de chance.

Sa fille quitte la pièce en traînant les pieds sur le lino fatigué. Elle cache autant que possible ce visage qu'il déteste car lui rappelant celui de sa mère. A l'école elle dissimule, sous une frange blonde peroxydée, ses joues meurtries et ses yeux bleuis.

Agrippant le fauteuil puis la table basse il parvient difficilement à se lever. Se diriger vers la fenêtre, ouvrir les persiennes parce qu'on y voit que dalle dans ce taudis !

Les cloisons des murs laissent filtrer les odeurs de curry, paprika et les gémissements des femmes ne font jamais les choses assez bien. L'air frais pue mais fouette bien le visage. Dehors, il fait nuit et pourtant on y voit comme en plein jour. Sans doute est-ce du à cette colonne de fumée orange qui s'élève du parking. Encore une voiture qui crame. Bordel mais c'est la mienne !!

Il n'en faut pas beaucoup à un corps imbibé est penché par la fenêtre pour basculer et chuter. A peine faut-il des mains de fillettes.

Les insultes fusent encore un bref instant alors qu'il est déjà en train de tomber. Puis, plus rien. Son corps sera découvert le lendemain à la faveur de l'aube, par ceux qui partent à l'usine. Sans doute ne sera-t-il pas beau à voir. Douze étages, il paraît que cela suffit à faire jaillir le cerveau hors de la boîte crânienne. Il est triste de se dire que cela vaut mieux ainsi.

Publié dans moonbeam

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