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Son visage ruisselant de sueur trahissait un sommeil agité. Il s’assit, fixant, sans le voir, le sol devant lui ; au bout d’un moment, il leva les yeux au ciel. Le soleil au zénith peinait à faire darder ses rayons au travers des arbres. Seuls quelques rares éclats de lumière filtrés par les érables, touffus à cette période de l’année, lui laissaient deviner l’heure déjà avancée du jour. La douce pénombre ne lui avait cependant pas permis de dormir tranquillement. Son esprit était torturé.
Il se leva enfin et rassembla ses affaires. Le geste ne pris que peu de temps : il voyageait léger : son sabre, dont il ne séparait jamais, et un carré de tissu replié contenant quelques vivres pour les jours à venir. Il réexamina la position du soleil, en déduit la direction à suivre et, finalement, parti. Cela faisait trois semaines maintenant qu’il suivait ce chemin. Il l’avait mené au travers de forêts, de rizières et de petits villages sur lesquels le temps semblait s’être arrêté.
Il avait rencontré de nombreux paysans, tous ou presque lui avaient confié leur assentiment quant à la politique du daimyo et leurs craintes pour l’avenir.
« Yoshinobu-sama, disaient-ils, n’a pas idée du poids que ses ambitions représentes sur nos frêles épaules. Il nous saigne afin de nourrir ses fichus samouraïs, qui agissent à leur guise dans notre village. » Tout ceci était évidement dit à l’écart des oreilles des serviteurs du château qui se seraient empressés de tout rapporter. Les villageois nourrissaient une rancœur infinie et pourtant rien de l’extérieur n’y paraissait. Yoshinobu était un être violent, amoureux de son prestige et nostalgique des ses succès militaires passés. Il n’avait de cesse d’ourdir des complots à l’encontre des autres daimyos. Exécré par ses échecs il faisait payer son courroux aux villageois, accablés de taxes et d’impôts divers. Ils les soumettaient à ses moindres désirs : il était par exemple, friand d’alcool et de bonne chère. Ainsi, exigeait-il que lui soit accordé une nuit avec chaque fille venant à sa marier dans le village. Le refus n’étant pas un choix envisageable, les têtes des opposants étaient immanquablement exhibées aux piques des ponts du château.
A chaque fois, notre vagabond était peiné et révolté par le sort de ces pauvres bougres qui ne demandaient rien d’autre que de vivre tranquillement. Mais, inlassablement il continuait son chemin car la route était encore longue.
Il sortit de la forêt et fut quelque peu ébloui par la clarté du jour. Le sentier qu’il suivait le menait, plus loin, à un petit pont de bois surmontant une rivière. Mais pour l’instant ce n’étaient que des rizières qui s’offraient à sa vue, il en profita pour manger un peu. Il sorti de sa besace une boule de riz gluante dont il s’accommoda tout en marchant. Autour de lui, s’étendaient des champs où les plants, les pieds dans l’eau, s’amusaient à donner au gré du vent, des reflets différents au voyageur flânant à leurs bords. Des femmes robustes s’employaient à repiquer les pousses de riz, l’échine courbée. Voilà une tâche que le daimyo n’avait sans doute jamais eu à faire. Il ne connaissait probablement même pas les étapes de cette culture. Il s’asseyait et se contentait d’engloutir des portions gargantuesques qu’un seul paysan aurait bien du mal à récolter.
Parfois, les paysannes se relevaient et le regardaient aller, se demandant qui il pouvait être et où il allait. Puis, le devoir les rappelait faisant taire la douleur.
Il se dit qu’il devait effrayer à voyager comme cela. En guenilles, il avait tout d’un rôdeur. Un de ceux qui vous coupe le bras après vous avoir serrer la main. Il était vêtu d’un simple kimono en lin kaki et une pièce d’armure récupérée sur un champ de bataille protégeait son torse. Il portait son sabre à la main, jeté négligemment par-dessus son épaule. L’usure de ses vêtements témoignait de son expérience au combat et de la rudesse du chemin déjà parcouru. Il était tel ces samouraïs sans maîtres qui, défaits après une guerre, errent sans but par monts et vallées. Il arborait un chapeau de bambou qui dissimulait son visage et des mèches de cheveux s’échappaient de son chignon. Il émanait de sa personne une force tacite et une énergie sciemment dissimulée.